Un faiseur de miracles. Dès ses débuts à Raon-l’Étape, en tant qu’entraîneur-joueur, Didier Ollé-Nicolle s’est forgé une image de magicien.
Aux commandes de l’équipe lorraine de 1991 à 2000, le fougueux technicien décroche cinq montées. Parti de Promotion d’Honneur, son club atterrit en National. À l’époque, le coach amateur se voit même « finir sa carrière dans les Vosges ».
Mais non loin de là, à Épinal, un célèbre député, ancien ministre et président de l’Assemblée nationale, suit son parcours de près. « Philippe Séguin a susurré mon nom à son ami Jean-Louis Borloo, qui présidait Valenciennes. Ce club allait mal après l’affaire VA – OM (*). Il végétait en CFA. Borloo est venu me voir chez moi, à Raon. J’ai été charmé par cet homme, son discours et son charisme. Il m’a proposé cinq ans de contrat et m’a donné les pleins pouvoirs. »
Les coudées franches, Didier Ollé-Nicolle réussit à conduire Valenciennes en National, après avoir « tout rebâti » entre 2000 et 2003. Mais la nomination de Jean-Louis Borloo au ministère de la Ville précipite le départ de l’entraîneur, qui voit d’un mauvais œil le « retour » au club de certains « anciens » dirigeants.
‘‘ DON ’’ (c’est ainsi qu’on le surnomme dans le Nord) se laisse alors séduire par Nîmes, un autre pensionnaire de troisième division. Cette fois, c’est en Coupe de France qu’il s’illustre, en atteignant les demi-finales.
« En 2005, on a battu l’AS Saint-Étienne d’Élie Baup, l’AC Ajaccio de Roland Courbis, l’OGC Nice de Gernot Rohr et le FC Sochaux de Guy Lacombe. C’était la première fois, dans l’histoire du foot français, qu’une formation de National éliminait quatre clubs de Ligue 1 », raconte le coach, des étincelles dans le regard.
Et de détailler : « Le match le plus mémorable, c’est notre quart de finale contre Sochaux. À 20 minutes de la fin, nous sommes menés 3-1 chez nous. Et finalement, on gagne 4-3 dans le temps additionnel, dans un stade plein et chauffé à blanc. À ce moment-là, tu voles, tu n’as plus aucune lucidité. Il se passe un truc dont tu ne mesures même plus la portée… Ce sont des sensations magiques que tu ne vis que dans le foot. »
Cette épopée n’est pas sans incidence sur la carrière de Didier Ollé-Nicolle. Les portes du monde professionnel s’entrouvrent et le technicien, en éternel conquérant, s’y engouffre.
La Ligue 2 est un passage obligé, pour celui qui se targue d’avoir « franchi toutes les étapes de A à Z ». Un certain Michel Denisot le convainc d’abord de signer à Châteauroux (2005-2006), avant qu’il n’aille entretenir sa légende du côté de Clermont (2006-2009).
Dans le Puy-de-Dôme, ‘‘ DON ’’ s’offre l’un des plus beaux chapitres de son existence. Dès la première saison, il fait remonter le club de National en L2.
Mais l’exercice suivant est encore plus savoureux. Le promu auvergnat, avant-dernier budget de la deuxième division, se hisse à la cinquième place, après avoir flirté avec l’accession en L1.
En mai 2008, Didier Ollé-Nicolle est élu entraîneur de l’année, dans l’antichambre de l’élite, et les prétendants se bousculent pour essayer d’enrôler l’homme aux mille secrets.
« Gervais Martel, le patron de Lens, m’a appelé, mais quand il a su que j’étais encore sous contrat, il a laissé tomber. En tant que responsable de l’UCPF (Union des clubs professionnels de football) , par principe, il ne voulait pas débaucher un coach déjà lié à un club. Le Standard de Liège, qualifié pour la Champions League, s’est alors manifesté. Mon président, Claude Michy, réclamait 500 000 euros pour me laisser partir. »
Pas refroidie pour un sou, l’écurie belge aligne la somme demandée,
mais le boss clermontois se rétracte, trop inquiet à l’idée de voir s’envoler sa perle rare. « À chaud, je lui en ai voulu, précise le technicien. Pendant un mois, je ne parlais plus à personne.
J’avais le sentiment de manquer une opportunité sportive. Or, l’idée quand on entraîne, c’est toujours d’aller vers le plus haut niveau. Quand j’étais adolescent, dans les années 70, je
collectionnais les vignettes Panini. Les grandes compétitions, ça me donnait envie… »
En ce fameux printemps 2008, donc, Didier Ollé-Nicolle ravale sa frustration de ne pas goûter à la Ligue des champions et se remet au travail, pour une dernière saison sur le banc de Clermont.
Ironie du destin, c’est en Alsace que le futur entraîneur de Colmar va connaître le couac le plus retentissant de son parcours. En janvier 2009, Clermont est éjecté de la Coupe de France par Schirrhein, une petite équipe d’Excellence départementale. Une humiliante défaite (4-2) en 32e de finale, qui conduit le manager à présenter sa démission. « J’ai eu ce réflexe parce que j’avais honte, explique-t-il. J’avais un groupe de mecs bien, mais ce jour-là, on a perdu les pédales. Le président a refusé que je m’en aille. Par contre, le lendemain, il a convoqué tous les joueurs à 7h du matin. C’est la première fois que je voyais M. Michy autant en colère… »
Le même mois, l’équipe auvergnate est assommée par une nouvelle autrement plus douloureuse : le décès de l’un de ses joueurs charismatiques, Clément Pinault (23 ans), terrassé par un arrêt cardiaque. « Nous n’avions pas l’envie ni la force d’aller disputer le prochain match à Nîmes. Mais les parents de Clément sont venus dans le vestiaire pour nous demander de jouer en son nom. Une rose avait été posée, à la place où s’asseyait habituellement leur fils. Le vendredi suivant, on a fait match nul. On menait 1 à 0 jusqu’à la 90e minute, avant que l’arbitre ne siffle un penalty imaginaire contre nous. Une totale injustice. Il nous a volé la victoire qu’on voulait dédier à Clément. Ça m’arrive très rarement, mais à cet instant précis, j’ai ressenti de la haine… Tout le public de Nîmes s’est levé et nous a applaudis pendant une minute. Indirectement, les 8 000 spectateurs ovationnaient Clément. »
C’est la dernière image forte que le coach garde de son aventure à Clermont. L’été suivant, il s’engage à Nice et exauce l’un de ses souhaits les plus chers : découvrir la Ligue 1. « Un honneur et un bonheur, souligne-t-il. Pour moi, ce niveau était réservé à un cercle fermé. »
Mais le rêve tourne au cauchemar. « Le président qui m’avait recruté, Maurice Cohen, s’est fait virer par les actionnaires en septembre. À ce moment-là, il m’avait prévenu : ‘‘ Tu ne finiras pas la saison, tu n’es pas leur entraîneur. ’’ Il savait que mes jours étaient comptés. Cette saison-là, nous avions très bien commencé. On avait gagné 4-1 chez nous contre l’Olympique Lyonnais de Claude Puel, septuple champion de France. Quand on voit les vedettes qu’il y avait en face, je me dis que c’est peut-être la plus belle victoire de ma carrière. Mais dans l’effectif, nous avions 16 joueurs concernés par la Coupe d’Afrique des nations. En janvier-février, ils étaient tous partis et je n’avais plus d’équipe ! J’ai été démis de mes fonctions en mars, alors que nous avions encore six points d’avance sur le premier relégable… »
Pour Didier Ollé-Nicolle, le crash est terrible. « Je travaillais 12 à 13 heures par jour et d’un coup, plus rien… Pendant trois ou quatre mois, mon téléphone n’a plus sonné. Cet épisode a représenté une profonde déchirure. J’étais dans un état un peu dépressif. J’en avais ras-le-bol, le football français m’avait déçu. J’ai décidé de quitter le pays… »
Le technicien réalise alors que l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs. En septembre 2010, il prend les rênes de Neuchâtel, qu’il maintient en Super League suisse, en dépit d’un « démarrage catastrophique ». Mais à huit jours de la finale de la coupe nationale, pour laquelle son équipe est qualifiée, il claque la porte.
Son récit fait froid dans le dos : « En toute fin de saison, le club a été repris par Bulat Chagaev, l’un des hommes de main du président tchétchène Ramzan Kadyrov. Ces gens-là étaient racistes. Ils m’ont demandé de me séparer de mes adjoints pour m’imposer un staff uniquement composé de Tchétchènes. Ils ne voulaient pas de noirs dans l’équipe et souhaitaient que je me débarrasse des trois Africains du groupe : Niasse, Binya et Gohou. J’ai refusé. Le jour de la finale de la Coupe de Suisse, je n’étais pas assis sur le banc. »
La suite est dramatique pour Neuchâtel. « Les Tchétchènes sont restés quatre mois, ils ont viré cinq entraîneurs et ont laissé un trou de 30 millions d’euros, raconte ‘‘ DON ’’. Le club a été déclaré en faillite. Chagaev, lui, a été incarcéré pour blanchiment d’argent. »
Didier Ollé-Nicolle tourne la page en s’engageant en faveur de Limassol, à Chypre. « Mais on a subi de plein fouet la crise grecque, se remémore le technicien. Les joueurs n’étaient plus payés, je ne me voyais pas être exigeants avec eux. J’ai donné un mois aux dirigeants pour régler la situation. Quand la deadline a été franchie, je suis parti. »
Après un petit détour par l’USM Alger, il rentre en France et signe à Rouen, en National. Son exigence est intacte.
Le Colmarien Anthony Soubervie, qui portait les couleurs de l’équipe normande à ce moment-là, témoigne. « Un soir, on a perdu 4 à 1 au Poiré-sur-Vie, raconte le latéral. On avait encaissé 16 buts en quatre matches. La nuit qui a suivi, sur le trajet du retour, Didier nous a tous demandé de nous installer au fond du bus. Son débriefing a été très musclé… Quand on est arrivé à Rouen, à 4h du matin, il nous a fait courir une heure dans le noir en t-shirt et en short. C’était en octobre-novembre. Il ne faisait pas chaud… »
La méthode a néanmoins du bon. Au terme de l’exercice 2012-2013, le FCR accède en Ligue 2. Malheureusement, le club déposera le bilan quelques semaines plus tard.
En quête d’une nouvelle piste d’atterrissage, Didier Ollé-Nicolle pose ses bagages au Bénin, où il devient sélectionneur national en février 2014. « C’était une expérience très enrichissante, sportivement et humainement. Des anecdotes, j’en ai des tas. Une fois, on a été délogé de notre hôtel en pleine nuit parce que notre fédération n’avait pas payé les chambres. Je me suis retrouvé dans la rue avec mon effectif, à 2 ou 3h du matin, à deux jours d’un match de qualification pour la CAN 2015, contre le Malawi. Heureusement, il ne faisait pas froid… »
Quelques mois plus tard, l’entraîneur n’a plus envie de rire. « En novembre, le ministre des sports a dissous la fédération béninoise, sur fond de luttes de pouvoir et de corruption. Du jour au lendemain, je n’ai plus été payé. Alors je me suis fâché… J’ai pris un avocat et la FIFA m’a libéré à la mi-mars 2015. La justice doit encore statuer sur mon cas. Mon contrat n’a pas été respecté. »
L’arrivée de Didier Ollé-Nicolle aux SR Colmar, au début du printemps dernier, est donc le résultat d’un incroyable concours de circonstances.
« Je me suis rapproché de mes deux enfants, Romain et Marine (27 et 23 ans), qui vivent au Luxembourg, se réjouit le coach. Romain est un bon footballeur. Il joue à Dudelange, en première division. Quand ils étaient petits, lui et sa petite sœur, je leur faisais sécher l’école une semaine en juin. Avec ma vie décalée, c’était la seule solution pour qu’on puisse partir un peu en vacances… »
Les yeux du père de famille s’illuminent : « Le plus important, ce sont quand même les enfants et leur épanouissement. Mes vrais réconforts, en cas d’échec, ce sont eux. »
(*) En 1993, des joueurs de Valenciennes font l’objet d’une tentative de corruption avant un match face à Marseille. Le club nordiste dénonce ces manœuvres, qui conduiront à l’un des procès les plus médiatiques de l’histoire du football français. Mais il connaît, par la suite, une descente aux enfers sportive.