Exclusif : Nîmes Olympique dans Le Monde Numérique du
jour
Dans le bureau du président du Nîmes Olympique, un
crocodile couleur vert pomme trône sur une table ronde. Christian Perdrier dégaine un sourire forcé en guise d’arme de persuasion massive. Il l’assure : « Cette saison, je la vis bien. » L’ancien
dirigeant de Disneyland Paris, 64 ans, tient un discours résolument positif. Parfois à l’excès. « Le mercato s’est bien passé, finit-il par avancer entre deux sourires. On a de bons résultats,
tous les clubs disent que ce n’est pas facile de jouer contre nous, donc ça marche. » Difficile de croire que l’homme qui vient de prononcer cette phrase est à la tête d’un club bon dernier de
Ligue 2, plombé par huit points de pénalité et des mauvais résultats.
Quelques heures plus tard, en ce vendredi 6 novembre,
le président nîmois expérimente les limites de sa méthode Coué. Après une défaite logique au stade des Costières face à Sochaux (0-2) sous le regard de son très populaire parrain, l’animateur de
radio Jean-Jacques Bourdin, mais pas sous celui de Rani Assaf, actionnaire principal du club, en voyage d’affaires en Suisse, ses « Crocos » sortent sous les sifflets du public. En sept matchs à
domicile, Nîmes a enchaîné six nuls pour une défaite. « Une équipe d’ânes », peste Maurice Debaille, un supporteur au crâne dégarni, pull à rayures sur les épaules, qui assistait à son premier
match « en 1947 ». « Ils n’ont aucune chance de s’en sortir. A moins d’un miracle », pronostique-t-il.
Un jugement sévère, à mille lieues de l’optimisme
affiché par Christian Perdrier, qui a appris à relativiser. Lui est arrivé à la présidence il y a un an, le 26 novembre 2014, dans un contexte encore plus délicat. Huit jours plus tôt, le Nîmes
Olympique se retrouve propulsé dans la rubrique faits divers, soupçonné d’avoir truqué des matchs en Ligue 2. Parmi les six personnes placées en garde à vue ce mardi 18 novembre puis mises en
examen deux jours plus tard pour « corruption active ou passive dans le cadre de manifestations sportives pouvant donner lieu à des paris sportifs » figurent Jean-Marc Conrad, alors président du
club, et Serge Kasparian, actionnaire principal avec Conrad, à travers la société Jeminian. Les deux dirigeants nîmois, arrivés au club au printemps 2014, sont soupçonnés par la justice, écoutes
téléphoniques à l’appui, d’avoir tenté d’arranger des rencontres à la fin de la saison 2013-2014 pour assurer le maintien de Nîmes en Ligue 2.
« Du jour au lendemain, on s’est dit que notre club
pouvait mourir »
« Ça a été un coup de massue, raconte Guillaume
Navarro, membre des Gladiators, le principal groupe de supporteurs du club. J’étais dans ma voiture, j’allais au boulot, j’écoutais la radio, et là j’entends qu’il y a un scandale de corruption
dans le football français. Puis j’entends le nom du Nîmes Olympique. J’étais abasourdi. Thiriez [le président de la Ligue de football professionnel, LFP] disait que cela pouvait aller jusqu’à la
radiation du championnat. Du jour au lendemain, on s’est dit que notre club pouvait mourir. » Un an après, le club n’est pas mort. Il ne s’est pas pour autant complètement remis de cette
affaire.
Le 17 mars, la commission de discipline de la Ligue a
décidé de rétrograder les Gardois d’une division. En mai, la commission supérieure d’appel de la Fédération française de football a remplacé cette sanction par huit points de pénalité pour la
saison 2015-2016, tout en maintenant le club en Ligue 2. Saisi par le Nîmes Olympique, le Comité national olympique et sportif français a confirmé cette décision en juillet. En attendant l’issue
de son recours devant le tribunal administratif de Nîmes, pas avant 2016, le club est donc condamné à une course-poursuite avec handicap.
De cette affaire subsiste un fort sentiment
d’injustice. Les supporteurs soulignent qu’aucun joueur n’a été inquiété par la justice. Ils ont l’impression que les Crocos continuent de payer pour les « requins ». « Deux gugusses qui sont
restés six mois au club ont essayé d’arranger des matchs, résume Guillaume Navarro. Les gars étaient des dirigeants du club, mais le club n’en a rien retiré » – si ce n’est une image écornée. «
Avec tout ce pataquès, on nous a traités de voyous, déplore José Pasqualetti, entraîneur du club depuis l’été 2014. Ce qui m’a énervé, ce sont les effets d’annonce de Frédéric Thiriez. De temps
en temps, il ferait mieux de fermer sa bouche. » Le patron de la LFP avait notamment promis de s’attaquer au « poison mortel » des matchs arrangés.
Christian Perdrier, le président du Nîmes
Olympique.
Pénalisé de huit unités avant l’entame de la saison,
Nîmes a désormais 10 points de retard sur le premier non-relégable, Sochaux, après quatorze journées de championnat. « Il faut qu’on table sur 50 points. On sait qu’on va être derniers pendant un
moment », résume José Pasqualetti, ancien coach d’Istres. Avec seulement deux victoires au compteur depuis le début de saison, l’objectif s’annonce déjà compromis. « Depuis juillet, on cogite,
reconnaît Larry Azouni, jeune milieu de terrain de 21 ans. Même si on ne se le dit pas forcément, on regarde le classement chez nous. Ça va être compliqué, mais il ne faut surtout pas lâcher. Ce
n’est pas le moment de dire que c’est mort. »
Après le « séisme » de novembre 2014, cette saison «
de transition », ainsi qu’elle est pudiquement désignée du côté du stade des Costières, ne s’annonce pas comme une partie de plaisir. « Même si elle est compliquée, ça n’a rien à voir par rapport
au tsunami de l’année dernière, nuance Perdrier. Entre ce qui est arrivé en novembre, les bagarres d’actionnaires, le virtuel dépôt de bilan… » Car le « séisme » a eu plusieurs répliques au cours
des derniers mois. Au printemps, les informations au conditionnel et les rumeurs concernant l’avenir du club ont noirci les pages de la presse locale. Un jour, il était question du désengagement
de Rani Assaf, le très discret nouveau propriétaire du club et homme fort de l’entreprise Free. Le lendemain était évoqué un possible rachat du Nîmes Olympique par de bien mystérieux « Algériens
». En réalité, une vraie bataille d’actionnaires se trame alors en coulisses.
Rani Assaf, qui a déboursé 2 millions d’euros et
possède 48 % des actions du club depuis 2014, veut la majorité absolue. Mais l’ancien président Jean-Louis Gazeau, qui doit récupérer ses parts si la société Jeminian ne l’a pas payé d’ici à la
fin juin, n’est pas décidé à brader ses actions. Il souhaite alors trouver éventuellement un repreneur qui lui rachèterait ses actions à bon prix. « Le but d’Assaf était d’en lâcher le moins
possible, celui de Jean-Louis Gazeau était de négocier au mieux les actions qu’il récupérait de Conrad et Kasparian », résume Gérard Di Domenico, à la tête de l’Association Nîmes Olympique, qui
gère la section amateur du club. « C’était des moments de peur, se remémore Guillaume Navarro. On s’est dit qu’on pouvait disparaître tout seul, même sans décision de justice. » Finalement, aucun
« Algérien » ne se présentera. Rani Assaf a réalisé une augmentation de capital de 2,5 millions d’euros et Jean-Louis Gazeau est resté avec ses actions. M. Assaf détient environ 80 % des parts du
club, contre environ 20 % pour M. Gazeau.
Mais cet argent dépensé n’a pas été investi dans la
structure sportive. Désormais, Nîmes doit avancer avec un budget réduit à 6,3 millions d’euros – dont quelque 4,5 millions de droits télé. Assaf « ne veut pas gagner d’argent, mais il ne veut pas
en perdre », explique M. Perdrier, qui lui parle quotidiennement, au téléphone ou lorsqu’il le voit, à Montpellier, où les deux hommes vivent. « Je pense que Rani Assaf est dans une période où il
veut tester un peu le fonctionnement du secteur pro et amateur, voir si on est là pour dilapider cet argent ou si on est vraiment des gens sérieux », estime Di Domenico. Perdrier assure que le
club n’a plus de problèmes financiers. Pourtant, les cordons de la bourse sont serrés. Selon nos informations, au printemps, les repas normalement distribués aux sponsors dans les loges du stade
ont été supprimés un temps, pour des raisons de coûts. A l’intersaison, dans un contexte difficile, le club a d’ailleurs perdu « 15 % à 20 % » de ses sponsors, reconnaît
Perdrier.
Un autre Kasparian encombrant
Sur le terrain, l’entraîneur José Pasqualetti doit
composer avec un effectif pléthorique de 28 joueurs professionnels, pour la plupart très jeunes. Du haut de ses 36 ans, l’attaquant Toifilou Maoulida, au club depuis l’été 2014, est une
exception. Lui ne voulait pas « quitter le navire », même si ses fâcheries estivales avec le président ont trouvé un écho dans la presse locale. « Quand vous êtes jeune et que c’est votre premier
contrat pro, vous ne vous posez pas la question des huit points, vous jouez, estime Perdrier. Vous êtes tellement heureux d’avoir un contrat pro que vous ne vous prenez pas la tête.
»
A voir. De toute façon, le club n’avait pas forcément
l’argent pour investir dans des joueurs plus expérimentés. Parmi cet effectif que le président aimerait voir réduit à « 24, 25 joueurs », la grande majorité n’a pas participé aux matchs
incriminés. Un nom retient cependant l’attention : Anthony Kasparian. Gardien remplaçant avec l’équipe réserve en CFA2, le cinquième échelon national, le fils de Serge Kasparian dispose encore
d’un contrat, mais ne joue plus – « c’est le boulet qu’on traîne », glisse Gérard Di Domenico. Le jeune homme, arrivé dans les bagages de son père et de Conrad en 2014, est l’une des dernières
traces visibles de l’ère Conrad-Kasparian.
Les deux ex-dirigeants ont complètement disparu des
radars du club. Selon plusieurs sources, Jean-Marc Conrad passerait à présent une grande partie de son temps en Asie. Son profil sur le réseau social professionnel LinkedIn indique qu’il
travaille pour une entreprise « spécialisée dans l’accompagnement et le développement des entreprises européennes en Asie » basée à Hua Hin, une station balnéaire de Thaïlande. Selon un dirigeant
du Nîmes Olympique, il aurait pour projet d’y développer une chaîne de boulangeries.
Christian Perdrier assure qu’il n’a plus « aucun »
contact avec Jean-Marc Conrad « depuis sa mise en examen ». Surprenant lorsqu’on sait que c’est Jean-Marc Conrad qui lui avait demandé un audit du club à l’automne 2014. Quand Perdrier s’était
installé à la présidence de ce club, il avait d’ailleurs déclaré à la presse : « Je le connais très bien. C’est un ami personnel. » Des mots qui avaient inquiété ceux qui redoutaient qu’il ne
soit qu’un homme de paille de Conrad. Un an plus tard, le ton a changé : « On s’est connus car j’ai mis ma fille de 6 ans dans la même école que les enfants de Conrad et que ceux d’Assaf. (…)
Quand j’ai pris en main le club, on m’a demandé : “Mais vous connaissez Conrad ?” J’ai peut-être un peu forcé la dose en disant : “Conrad, c’est un ami.” Ce serait à refaire, je le présenterais
un peu différemment. »
Une version qui ne convainc pas tout le monde. « Je ne
veux pas casser du sucre sur Perdrier, mais ce qui a fait beaucoup de mal au club, c’est que c’est un proche de Conrad, juge Gazeau. Ils n’ont pas tourné complètement la page à ce moment [en
novembre 2014]. » L’ancien président regrette que « le Nîmois ne s’y retrouve pas » : « Le président n’est plus de Nîmes, l’actionnaire non plus, pas plus que le comptable. Il n’y a plus cet
aspect local. »
Cette saison, l’affluence au stade a légèrement
diminué : elle oscille entre 4 000 et 6 000 supporteurs, dans une enceinte qui pourrait en accueillir trois fois plus. Le prix des places, abaissé à 2 euros dans les tribunes Pesage, les plus
populaires, n’a pas suffi à inverser cette tendance. « Il manque cette petite étincelle qui rallumera la flamme », concède Guillaume Navarro. « Quand l’affaire a explosé, il y a eu une sorte
d’union sacrée pour sauver le club, mais maintenant, c’est le calme plat, estime Gazeau. Il y a un désintérêt, ce qui est la pire des choses. Si le club devait mourir, ce que je ne souhaite pas,
je ne dis pas que cela se ferait dans l’indifférence, mais pas loin. »
Une relégation en National apparaîtrait comme un gros
coup dur pour ce club vieux de soixante-dix-huit ans qui en a déjà connu dans son riche passé. A Nîmes, personne ne veut trop y penser, même si tout le monde garde l’hypothèse dans un coin de la
tête. Quelles sont les intentions de l’actionnaire principal, Rani Assaf, qui refuse toujours de s’exprimer face à la presse et ne vient à Nîmes quasiment que pour les matchs ? Perdrier assure
qu’Assaf n’a pas prévu de partir, même en cas de descente. De toute façon, le président croit au maintien et ne veut pas déjà envisager l’autre possibilité. « Je pense à traverser le pont quand
j’arrive au pont », glisse-t-il dans l’une des formules qu’il affectionne. Et d’ajouter, dans un énième sourire : « Même si on descend, je vois l’aspect positif. Ça permettra de vraiment tirer un
trait sur le passé et de repartir vers ce que j’appelle le Nîmes Olympique 2.0. »